Le lundi 20 janvier 2019, le CTA 118/112 de la Gironde engage les secours pour un feu de voiture électrique sur la commune de Gauriac, lieu-dit le Furt. À 15 heures, le FGPSR engagé se présente sur les lieux : les intervenants sont confrontés à une voiture électrique totalement embrasée, immobilisée sur le bas-côté d’une route rurale longeant la Gironde, avec deux arbres situés à moins de 2 mètres. Aucun bâtiment n’est menacé, le propriétaire de la voiture n’est pas à l’intérieur au moment du départ de feu.
Une LDV 250, rapidement mise en action, permet d’éteindre la partie supérieure de la voiture, mais semble être sans effet sur les flammes sortant du bas de caisse « en pression ». Ce n’est qu’avec la mise en place d’une seconde LDV2 50 que le feu perd en intensité et que les sapeurs-pompiers réussissent à éteindre le feu. Au cours de l’extinction, les manifestations identifiées en présence d’un feu de batterie au lithium sont constatées : projection de métal en fusion lorsque les jets de lance touchent les batteries, présence de fumées jaune verdâtre (voir encadré sur les projections).
Afin de mener à terme la mission, le FGPSR s’alimente. Au total, 4 000 litres d’eau auront été nécessaires.
À 16 h 06, le feu apparaît éteint. Un contrôle tactile est réalisé sur la totalité du véhicule afin de s’assurer de son refroidissement complet : celui-ci est également constaté par l’absence de vapeurs d’eau (température de l’air : 7 °C).
Les sapeurs-pompiers quittent les lieux après avoir donné aux forces de l’ordre présentes la consigne de préciser au dépanneur qu’il s’agissait d’un véhicule électrique.
D’où viennent les projections de métal en fusion et l’ammoniac ?
Lorsque l’eau entre en contact avec le métal en fusion à très haute température, la molécule d’eau (H2O) se dissocie en H2 et O. Le dihydrogène (H2) explose aussitôt, propulsant des particules de métal en fusion. De la même manière, le métal en fusion au contact de l’air crée des nitrures qui, au contact de l’eau, se recombinent en ammoniac.
Bis repetita
Le même jour, à 17 h 07, le Sdis de la Gironde reçoit une demande de secours pour un véhicule électrique en feu sur le porteur d’un dépanneur dans la rue principale du bourg de Pugnac. Le lien entre les deux interventions est rapidement fait et le chef de colonne informé décide de s’engager en renfort du FGPSR et du chef de groupe. Les secours se présentent rapidement et sont confrontés à un feu virulent du véhicule totalement carbonisé sur le porteur du dépanneur, avec de part et d’autre de la rue des habitations individuelles. Les flammes sortent du côté du plancher sous forme de « chalumeau » sur une distance de 1 mètre et sont peu rayonnantes (possibilité de se tenir à 3 mètres sans EPI). Deux LDV250 sont rapidement mises en place et les constats sont identiques que lors de la première intervention : l’action d’une unique LDV250 est totalement inefficace : deux LDV conjuguées sont nécessaires pour « prendre le dessus » sur le feu. Malgré l’action des deux lances, les sapeurs-pompiers n’arrivent pas à totalement éteindre les flammes sortant en pression sur les côtés du bas de caisse. L’intervention d’une tractopelle de la mairie sera nécessaire pour soulever le véhicule afin d’atteindre le dessous de la caisse, et donc assurer une extinction et un refroidissement efficaces.
Fort de la première expérience, le chef de colonne, en concertation avec le chef de site de permanence, décide d’escorter le dépanneur jusqu’au lieu de remisage de la voiture, au cas où l’incendie reprendrait.
Une fois chez le dépanneur, la voiture est déchargée et remisée à l’extérieur, isolée de tout combustible par un espace de 5 mètres, posée sur la tranche afin de pouvoir assurer un refroidissement efficace en cas de reprise. Une recherche thermique révèle une température élevée sur la partie avant du bas de caisse de la voiture, confirmée de visu par un changement de couleur significatif. Afin d’assurer un refroidissement total du compartiment batterie, décision est prise de réaliser une trouée, en s’assurant préalablement d’une absence de pression interne (compartiment poinçonné au moyen de l’outil Halligan par du personnel protégé et de côté).
L’extinction totale
Une fois percé, le compartiment batteries est ensuite noyé au moyen d’une LDV250 jusqu’au refroidissement complet. Des tests thermiques seront réalisés en 30 minutes après l’arrêt de la lance afin de confirmer l’absence de points chauds.
Au total, 30 000 litres d’eau auront été nécessaires pour réaliser l’extinction et le refroidissement…
Le mercredi matin, le dépanneur nous informe que la voiture a de nouveau brûlé dans la nuit de mardi et qu’il s’en est rendu compte au matin car la voiture fumait de nouveau. L’intervention des sapeurs-pompiers n’a pas été nécessaire puisque le véhicule était stocké, isolé de tout combustible.
L’information constructeur
Il est impossible de faire pénétrer l’eau dans le compartiment batteries sur ce type de modèle de voiture qui est « hermétique ». Seul un refroidissement est possible.
Le bloc batteries est compartimenté en sous-compartiments. Chaque sous-compartiment est équipé d’évents fusibles en cas de feu. Lorsqu’un sous-compartiment brûle, le risque électrique n’est plus présent. En revanche les sous-compartiments voisins peuvent encore présenter un risque électrique.
Les enseignements
- Phénomène : L’intensité du feu est telle que le plateau métallique du dépanneur a fondu à l’endroit des flammes en chalumeaux sortant de la batterie.
- Technique opérationnelle : D’importantes quantités d’eau sont indispensables pour assurer l’extinction de la voiture et refroidir le compartiment batteries. Il est donc essentiel que l’engin-pompe soit alimenté. En revanche, l’eau utilisée pour refroidir le compartiment batteries n’est pas chargée en polluant et ne nécessite pas d’être récupéréeUn débit minimum de 500 l/min est utile pour prendre le dessus (cf. la puissance du feu). Par ailleurs, le refroidissement n’est réellement efficace que lorsqu’il est appliqué sur le compartiment batteries, situé sous le véhicule, donc inaccessible de prime abord.
L’éventualité de laisser brûler la voiture doit être prise en considération avec d’importantes précautions au regard de la composition des fumées (composés organiques volatils, hydrogène gazeux, dioxyde de carbone, monoxyde de carbone, suies et particules contenant des oxydes de nickel, d’aluminium, de lithium, de cuivre, de cobalt et de fluorure d’hydrogène).
Le poids des batteries est tel que les moyens de levage doivent être appropriés (2 400 kg).
Les difficultés techniques et les prises de décision sont telles que l’engagement d’un chef de groupe instruit à la problématique est incontournable.
Le contrôle thermique, qu’il soit tactile, à l’aide de la caméra thermique ou encore d’un pyromètre, s’avère très difficile du fait du positionnement des batteries dans le plancher de la caisse.
Compte tenu de la composition des fumées, il paraît essentiel de considérer les EPI souillés.
Les sapeurs-pompiers s’interrogent
◦ L’interdiction de la technologie LMP (lithium-métal-polymère) aux parkings souterrains n’est pas à l’ordre du jour : le sera-t-elle avant un événement grave ?
◦ Quelles conditions d’engagement des personnels en milieu confiné ou semi-confiné ?
◦ Seuls certains véhicules électriques dotés de la même technologie LMP sont équipés d’une trappe permettant le noyage du compartiment batteries : comment faciliter l’action des porte-lances ?
◦ Tout mouvement/déplacement de la carcasse de la voiture pouvant initier un nouvel échauffement puis une reprise du feu de batteries, quand les sapeurs-pompiers peuvent-ils déclarer une opération de cette nature terminée ?
◦ Les sapeurs-pompiers doivent-ils assurer un dispositif de sécurité depuis le lieu de l’accident jusqu’au lieu de remisage afin d’agir immédiatement lors du trajet ou en cas de reprise différée ?
◦ Les dépanneurs/carrossiers/ferrailleurs sont-ils informés et capables de prendre en compte les risques résiduels ?
L’avis du colonel (ER) Serge Delaunay – Expert pour la FNSPF pour les véhicules à énergies alternatives
Les batteries lithium-ion et lithium-métal-polymère, offrant les mêmes caractéristiques de tension et d’utilisation, sont les technologies actuelles pour les engins roulants électriques. Les packs batteries en tourisme, PL ou TC peuvent s’emballer pour deux causes : soit un court-circuit interne par anomalie sur une ou plusieurs cellules et/ou modules électriques, choc ou chute de tout ou partie des éléments du pack ; soit une exposition à de fortes températures générées par des flammes et un embrasement du véhicule. Dans le premier cas, la montée en température du pack ne peut être perçue qu’à l’aide de dispositifs constructifs, ou à l’aide d’une caméra thermique appréciant le gradient de température.
Emballement de Li-I ou LMP : la règle est simple. Il faut refroidir massivement, rabattre les flammes, couper l’inertie du foyer.
Batteries Li-I : elles peuvent être éteintes à l’eau par immersion ou projection/injection d’agent extincteur par les interstices du compartiment batteries. Renault propose sur la ZOE un « fireman-access », trappe fusibles plastique pour projeter ou injecter de l’eau dans le compartiment du pack. Une norme internationale apparaissant s’opposer en termes d’homologation à la présence de ce dispositif sur de futurs modèles, Renault travaille pour conserver par un moyen adapté homologué cette facilité pour l’extinction de ses modèles électriques.
Batteries LMP : l’extinction est impossible à l’eau. Il faut laisser brûler le véhicule si possible à l’air libre car les températures avoisinent 2 000 °C ; les sapeurs-pompiers doivent être dotés des EPI et d’ARI.
Un emballement de batteries pouvant se produire des heures après un accident (choc ou chute), tout véhicule accidenté doit être isolé à l’air libre dans un site sanctuarisé pendant au minimum 48 heures. Si 48 heures après le choc ou l’accident rien ne se passe, c’est que le pack n’a pas été endommagé : aucun court-circuit signifie aucun souci pour le traitement post-accident du véhicule.
En volume clos ou semi-ouvert, un incendie de LMP génère de sérieuses difficultés opérationnelles, le feu pouvant durer 2 h 30 à 3 heures selon le type de batterie, la grosseur, le nombre de modules ou de cellules, un refroidissement s’impose sous LDV500. Cette exposition à de fortes températures ressemblant aux conditions des feux de navire, l’emploi d’ARI longue durée peut apporter plus d’aisance. Une gestion des fumées très toxiques, des eaux d’extinction polluées, des EPI doit être prévue.